Dans un contexte où la complexité des interventions publiques ne cesse de croître, la capacité à piloter, ajuster et légitimer l’action devient un enjeu central pour les institutions. C’est dans cette perspective que le système de suivi et évaluation (SSE) s’impose comme un levier stratégique, à condition d’être pensé selon une approche systémique. Cette démarche, loin de se limiter à l’accumulation d’outils ou d’indicateurs, vise à intégrer la diversité des acteurs, la multiplicité des flux d’information et la dynamique des contextes, tout en assurant la cohérence et la transparence des processus décisionnels.
Comprendre le SSE à travers la systémique
Dès lors, il convient de dépasser la vision traditionnelle du SSE comme simple outil de reporting. En effet, le SSE se définit comme un ensemble de composantes en interaction, orientant un projet, un programme ou une institution en fonction de sa finalité, en adéquation avec ses valeurs et intégré à son mode de gouvernance. Cette conception implique que le SSE ne se limite pas à vérifier si une action « fonctionne » ou non, mais s’attache à expliciter les critères et méthodes permettant d’évaluer l’efficacité d’une intervention. Ainsi, il s’agit d’un dispositif transversal, garantissant la transparence, l’apprentissage organisationnel et la redevabilité.
L’approche systémique, quant à elle, offre un cadre d’analyse pertinent pour appréhender la complexité inhérente aux SSE. Deux concepts fondamentaux s’imposent : l’homéostasie, qui désigne la capacité d’un système à maintenir un état d’équilibre face aux changements, et la téléologie, qui renvoie à l’orientation du système vers une finalité explicite. En liant ces deux notions, la gouvernance du SSE se trouve au cœur du dispositif, combinant réflexion sur la finalité institutionnelle et capacité d’adaptation aux mutations de l’environnement.
Par ailleurs, l’évaluation, entendue comme délibération sur les valeurs, complète ce triptyque. L’interaction constante entre la finalité, les valeurs et les processus de régulation structure la gouvernance et assure la légitimité du SSE. Dès lors, il ne s’agit pas seulement de mesurer des résultats, mais d’accompagner des dynamiques, d’anticiper des évolutions et de favoriser l’émergence de comportements innovants.
Articuler structure et fonctionnement du SSE
Pour garantir son efficacité, le SSE doit être conçu comme un système global, dont la valeur ajoutée réside dans sa capacité à générer de nouvelles propriétés et à anticiper les évolutions. Il importe donc de structurer le SSE autour de quelques axes majeurs.
D’abord, la délimitation du périmètre s’avère essentielle. Le SSE peut s’appliquer à différents niveaux – projet, programme, institution, politique publique, voire à l’échelle nationale. La notion d’arborescence permet de structurer le SSE en sous-systèmes, chaque entité disposant de son propre dispositif, intégré à un ensemble plus vaste. Il est alors crucial de toujours considérer l’objectif de plus haut niveau pour circonscrire le périmètre pertinent.
Ensuite, les composantes du SSE sont à la fois humaines et documentaires. Les ressources humaines incluent des équipes dédiées, des responsables SE, des enquêteurs ou des experts thématiques. Les textes constitutifs, quant à eux, englobent chartes, politiques, manuels, cadres juridiques et éthiques. À cela s’ajoute le réseau, c’est-à-dire l’architecture de circulation des données, qui mobilise aussi bien des outils numériques que des canaux informels. Enfin, les réservoirs désignent l’ensemble des supports d’information susceptibles de recueillir les données du SSE : bases de données, tableaux de bord, rapports, capitalisations d’expérience, etc.
La structuration du SSE doit également clarifier les rôles, les responsabilités et les modalités de régulation. Selon les besoins et la culture institutionnelle, l’organisation peut être hiérarchique, en réseau ou hybride. Il s’agit de garantir la fluidité des flux d’information, d’éviter la dispersion et de favoriser la réactivité du système.
Dynamique des flux et prise de décision
Le fonctionnement du SSE repose sur la gestion efficace des flux d’information. Trois types de flux principaux sont à distinguer : les données quantitatives (indicateurs, statistiques, mesures d’impact), les données qualitatives (témoignages, études de cas, analyses contextuelles) et les recommandations (propositions d’amélioration, retours d’expérience). La fluidité de ces flux conditionne la capacité du système à alimenter la prise de décision et à favoriser l’apprentissage collectif.
Par ailleurs, l’identification et la structuration des centres décisionnels sont essentielles pour garantir la réactivité et la traçabilité des arbitrages. Les centres de décision doivent organiser le traitement des retours d’expérience et des recommandations, tout en assurant la transparence des processus. Il est également fondamental de veiller à l’équilibre entre rapidité et qualité de traitement : des délais excessifs ou insuffisants signalent des dysfonctionnements organisationnels et peuvent affecter la crédibilité du système.
Au cœur du SSE, les boucles de rétroaction jouent un rôle déterminant. Qu’elles soient correctrices (négatives) ou amplificatrices (positives), elles permettent d’ajuster les actions en temps réel, d’anticiper les dérives et de maximiser les effets positifs. Ainsi, la rétroaction constitue le moteur de l’amélioration continue et de l’adaptation stratégique.
Apports et défis de l’approche systémique
L’approche systémique confère au SSE une capacité d’adaptation et de résilience face aux mutations de l’environnement. En intégrant les signaux faibles et en anticipant les crises, elle favorise la pérennité des politiques publiques et la robustesse des organisations. De plus, en valorisant les interactions et la circulation de l’information, le SSE systémique encourage la participation des parties prenantes et la transparence des processus décisionnels, renforçant ainsi la confiance et la légitimité de l’action publique.
L’apprentissage organisationnel est également au cœur de cette démarche. En capitalisant les expériences, en diffusant les bonnes pratiques et en facilitant l’innovation, le SSE devient un moteur d’amélioration continue. Toutefois, plusieurs défis subsistent : l’institutionnalisation du SSE au sein des organisations publiques, la qualité et l’utilisation effective des données, ainsi que l’intégration des innovations technologiques.
Vers une gouvernance renforcée par le SSE systémique
En définitive, le système de suivi et évaluation, conçu selon une approche systémique, constitue un pilier de la gouvernance des projets et des politiques publiques. Il permet d’intégrer la complexité, de renforcer la transparence et de soutenir l’apprentissage organisationnel. En structurant les flux d’information, en clarifiant les centres de décision et en maîtrisant les boucles de rétroaction, le SSE devient un outil stratégique au service de la finalité et des valeurs de l’organisation, garantissant la cohérence, la légitimité et l’efficacité de l’action collective.